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LettresDAmes

29 février 2008

Lettre quatrième

Mon Bel Amour,

Il y a sûrement une guerre qui se déroule quelque part. J’en entends les déflagrations lointaines et sourdes. Je me dis d’ailleurs que si chaque humain percevait avec ses propres sens les explosions de chaque bombe lancée sur le monde par ce qu’on nomme l’humanité, toute vie serait de nos jours faite d’un vacarme terrifiant. Mais heureusement, les conflits actuels se déroulent loin de chez nous, les membres arrachés ne sont plus ceux de nos familles, les obus et les mines ne labourent plus nos champs et les cercueils griffés de leurs innombrables éclats n’enferment plus nos morts,. Alors, globalement, cela ne nous concerne pas vraiment, n’est-ce pas ?
Et quand bien même cela nous ferait-il souffrir, que pouvons nous donc bien y faire ? C’est une question difficile, et je ne vois pas bien pourquoi elle vient m’assaillir alors que je me trouve dans mon trou de silence et d’obscurité, seulement éclairé d’une petite chandelle que j’allume avec une boite d’allumettes, à l’ancienne, dès que je m’éveille ici, une fois la nuit tombée.
Je me demande si, durant le jour, mon avatar diurne et citoyen effectue son travail et accomplit sa vie sociale avec normalité, sans laisser paraître rien de ces étranges occupations auxquelles je me livre ici en temps que noctambule. Je n’en sais rien, car lorsque je vivais le jour, éveillé, je ne me souvenais aucunement de mes rêves, et il semble bien que la réciproque soit vraie.
C’est la quatrième allumette que je brûle, et j’en vois dans le cendrier le squelette calciné à côté de ceux qui l’ont précédée, mais lorsque j’ouvre la boîte, elle en contient apparemment toujours le même nombre. J’aurais bien envie de la vider complètement, pour voir ce qui se passerait, mais je ne peux rien faire pour satisfaire ce désir. Les gestes ne viennent pas. Ils me semblent n’avoir aucun sens, et mon corps ne veut aucunement les accomplir. C’est comme à propos de ce sac que j’ai emporté, dont je ne connais toujours pas le contenu. Lorsque j’y songe, j’ai envie de me lever pour aller voir ce qui le remplit, mais une idée soudain m’emporte et il me faut alors la lancer sur ce papier qui se tient sur mes genoux. Alors, j’écris beaucoup, mais je n’ai pas encore vidé mon sac. Curieux. Un peu comme cette chandelle qui brûle sans paraître se consumer. Et dont aucun souffle n’est capable d’éteindre la mèche. Pour ce faire, il faut absolument user de l’éteignoir d’étain qui pend comme une petite clochette au croc du bougeoir sur lequel le cylindre de cire est fiché. Maintenant, je sais à quoi sert un tel ustensile oublié.
Le dénuement apparent dans lequel je me trouve amplifie étrangement la valeur de choses simples.  Comment aurais-je de la lumière pour éclairer la feuille de papier sans ces allumettes et cette bougie d’un autre âge, alors qu’il y a quelques jours à peine, je n’avais qu’un minuscule geste à faire sur un interrupteur qui ne cliquetait même plus pour qu’une centrale nucléaire tout entière me délivre tout le courant électrique nécessaire à mon illumination.
Mais ce qui m’éclaire véritablement, et de cela je me rends compte à chaque instant qui passe dans ce cratère qui est mon environnement actuel, c’est cette lumière qui m’entoure et que je perçois comme un halo qui m’enrobe, et qui provient d’un feu intérieur que tu as allumé.
Avant de te croiser, je n’étais qu’une vague fluorescence, menacée d’extinction à la première goutte de pluie ou à la moindre larme, dont les minuscules luminescences rayonnaient si faiblement qu’elles auraient été bien incapables d’émettre la moindre lueur si ce n’est dans l’infra rouge que peut-être quelques insectes auraient pu ressentir.
Et tu m’as approché. Par je ne sais quel prodige, tu as soufflé sur ces étincelles pour les propulser sur mon coeur d’amadou qui s’est embrasé presque instantanément, et leurs incandescences se sont emparées de toutes ces brindilles, ces fagots, ces branchages qui séchaient en mon for intérieur depuis de si nombreuses et si longues années. Et il me semble à présent savoir ce que signifie vraiment ce qu’est un foyer, cette chaleureuse présence d’un lieu dont on emporte systématiquement l’influence alors même qu’on s’éloigne géographiquement de sa localisation, sans toutefois en perdre l’inaliénable rayonnement parfaitement perceptible, quoi qu'invisible.
Alors, les centrales électriques peuvent bien cesser de fonctionner, les chandelles perdre leur mèche ou les allumettes ne plus jamais craquer pour qui que ce soit, jamais plus je ne connaîtrai l’obscurité, car ta présence est comme une veilleuse chatoyante qui scintille tout près de moi, ou plutôt tout au fond de moi, car plus personne, si ce n’est Dieu Lui-même, ne serait en mesure de m’en éloigner, de m'en distraire ou d’en faire cesser l’intarissable rayonnement.
Et, si mes raisonnements purement intellectuels cessent et que je permets à mon coeur auréolé par toi d’influencer naturellement mes émotions, il me semble que je pourrai progressivement comprendre certains de ces regards ou certains de ces sourires que j’ai pu entrevoir sur certains visages malheureusement confrontés à l’innommable sans qu'ils cessent pour autant de briller.
Merci d’Etre.
Je t’embrasse

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26 février 2008

Lettre troisième

Mon Bel Amour,

A quoi cela sert-il que j’écrive ? Mais je pourrais aussi bien demander à quoi cela sert-il que je vive, n’est-ce pas ? Puisque je ne sais pas vivre sans écrire, c’est pour moi une évidence, désormais.
Mais je n’écris pas pour la multitude, pour un éditeur, ou pour des passants qui agripperaient mes pages comme des noyés du quotidien accrocheraient quelques récifs de distraction, pour s’extraire, quelques minuscules instants, de ce courant d’ordinaire qui les emporte vers un futur incertain. Non, assurément non.
Je t’écris. A toi. Vers toi. J’écris pour toi, et ces pages ne sont destinées qu’à ton seul regard. Alors, pourquoi les rédiger puisque je ne te les fais pas parvenir ? Je les range soigneusement dans ma besace, l’une à côté de l’autre, et il me semble que ces enveloppes de papier éclatant soient les trésors les plus précieux qui me soient ici.
J’ai refermé mon sac en entendant du bruit. Mais c’était Célestin qui m’apportait un verre givré rempli d’un liquide blanchâtre. Il m’a regardé avec ses yeux pétillants de malice et m’a murmuré : ‘Spécialement pour toi ! C’est bon pour la vigilance.’ Et il me l’a tendu, en m’observant. Je ne comprenais pas. Je goûtais, c’était du lait froid. Rien de particulier, donc.
‘L’effroi’, murmura-t-il, ‘c’est toujours excellent pour la vigilance’.
J’ai pouffé de rire au point de manquer de l’asperger du liquide que j’avais dans la bouche. Et il me fit connaître ainsi, au milieu de mes réflexions compliquées, de mes peurs les plus étouffantes, et à vrai dire au milieu de ce nulle part où je me trouve, un merveilleux moment de plaisir et de contentement. Il me tapa sur l’épaule, me fit un clin d’œil et m’abandonna. Mais j’ai dégusté pendant de longues minutes et avec un immense bonheur ce lait délicieux qui, malgré sa température, me réchauffa le cœur d’une manière incomparable.
Je me suis dit bêtement que j’aurais aimé connaître un tel moment en ta compagnie. Je me rappelle avoir connu plusieurs beaux instants de rires et de plaisirs que nous avons partagés. Mais j’ai une impression bizarre, comme si ces moments ne t’avaient aucunement marquée, n’avaient laissé aucune trace heureuse en toi, et qu’ils rebondissaient comme des boules de billard sur la bande rigide de tes constructions que tu sembles avoir réalisées avec des bois de types constrictors.
Je m’en voudrais fort, je pense, de t’asséner de nouveaux chocs, même animés des meilleures intentions. Alors j’écris dans le silence de cette nuit, puisque pour le moment les ombres me laissent tranquille. Ma plume fait de petits crissements joyeux sur le papier qui se tord sous les caresses des mots. Je sais, je suis fou. Mais d’une folie dont je ne veux aucunement guérir, car dans cette folie se trouve des parcelles de vérité qui l’agrémentent, comme un ciel s’éclaire d’une multitude d’étoiles.
En cet instant, je suis heureux d’être en ces lieux, si loin de cette fureur du monde que je n’entends plus. Ici plus de voitures, plus de télévisions et encore moins de leurs chaînes si bien nommées où elles enferment leurs spectateurs, plus de cacophonies radiophoniques, plus de publicités, plus de monnaies, plus de grèves, plus de transports, plus de loteries.
Ici, on ressent l’invisible, et c’est en y trempant un peu de ma plume que j’en recueille des caractères translucides que je fais goutter sur mes parchemins comme des larmes. En séchant, apparaissent des mots qui pour être étranges n’en sont pas pour autant étrangers. Et je sais que tu les comprends, même quand tu hurles qu’ils sont incompréhensibles.
Silence n’est pas absence. Tu aimes que j’écrive. Même si tes yeux se détournent ou demeurent au loin, il me semble que ton âme est à l’écoute, quelque part, pas très loin. Peut-être qu’elle dort dans le village voisin, et que son sommeil est paisible parce qu’elle sait que je veille sur elle, même si mes talents sont bien limités. Sa paix vient du simple fait de se sentir aimée.
Décidément, ici, tout est étrange. Y compris les pensées de ceux qui s’y trouvent. Car au moment où j’ai écrit la dernière phrase du paragraphe précédent, j’ai ressenti moi-même la caresse intérieure d’une paix qui provient de la certitude d’être moi-même aimé par ton âme. C’est un sentiment délicieux. Cela me rappelle une fois où, à côté de ce téléphone où tu venais de me laisser un message, je me laissais aller moi aussi, et ressentais alors une vague de douceur qui m’enroba délicatement de l’extérieur, et m’envahit intérieurement pendant de longues minutes. Toutes mes défenses étaient abolies, en cet instant.
L’amour doit se battre contre les hommes, non pas pour s’imposer à eux, mais pour qu’ils choisissent de l’accepter pleinement. Et il ne combat pas avec des armes, mais avec de la paix, de la patience, du temps, de la lumière et de la foi.
La lumière, l’amour et la foi sont inséparables. Ils sont la Trinité des valeurs humaines. Aimer, c’est croire en l’autre, sans réticence et sans défaut. Plus que Croire en Dieu, c’est Aimer Dieu que l’on doit apprendre. Mais il y a un début à Tout.
Je t’aime. Indéniablement. Pour moi, Tout a commencé comme ça.

22 février 2008

Lettre deuxième

Mon Bel Amour,

Je me demande encore pourquoi on m’a amené ici. Peut-être pour me laisser le temps de relire ces quelques lettres que j’ai reçues de toi, et que j’ai emportées, lors de mon départ précipité, avec un tel naturel, sans vraiment m’en rendre compte, que j’en ai été surpris de les trouver hier dans ma poche, juste avant que l’aube ne se lève, ce qui ici est la fin du temps d’activité. J’ai relu tes courriers avec beaucoup d’émotions, surtout lorsque tes mots me sont durs et difficiles.
Parfois, je suis terrassé par ce que tu écris. Je pense qu’il me faudra longtemps pour que je me l’explique. Il est un passage précis que je n’ai pas su relire une seconde fois et, d’une certaine manière, j’ai perdu conscience. Ce n’est pas vraiment ta faute, tu sembles avoir eu besoin de me livrer ta colère, et je me dis que si moi je ne peux la recevoir, qui donc le pourra ?
C’est une chance, en quelque sorte, que je n’aie pas posté ma lettre d’hier. Ainsi, je vais pouvoir respecter cette période de silence dont tu sembles avoir besoin. Et, au moins, tu n’inverseras plus les sens de lecture des courriers que j’envoie, puisque je m’en abstiendrai. Et si jamais cela devait induire que je n’aie plus jamais le bonheur de te revoir, ma foi, cela signifierait que cela doit être, et ce serait une raison de plus de ma venue ici.
La nuit est tombée depuis une heure ou deux, je crois. Mais ici, les horloges n’ont pas vraiment d’importance. Le temps s’écoule, et personne n’en calcule le débit. Je me suis remis l’esprit et le cœur à l’endroit. Je suis amoureux de toi, mais je saurai le taire, désormais, puisqu’il semble que de telles révélations te soient douloureuses. C’est étrange, certaines personnes réclament de l’amour pendant des jours et des jours, et lorsqu’il se présente à leur porte, elles se barricadent, s’arment d’une multitude de procédés pour le tenir à distance, et lui hurlent de s’en aller, car il ne saurait être qu’un imposteur, venu les juger pour mieux les torturer. Fais-tu partie de ces personnages ? Certains de tes courriers et certains de tes comportements tout au long de ces temps pour moi fabuleux que nous avons passés ensemble, en restant toutefois plutôt loin l’un de l’autre, me le laissent croire. Cette opinion n’est ni un jugement, ni une condamnation, juste une réflexion.
Tu sais, si on cherche à guérir d’un mal, il est essentiel d’en déterminer précisément les symptômes. Alors, il est parfois nécessaire de procéder à certaines analyses, certaines hypothèses, certaines tentatives. Certaines sont fructueuses, d’autres non, c’est le risque. Mais il ne sert à rien d’attendre et de ne rien faire. Personnellement, parce que la vie me l’a appris, je préfère me tromper en ayant osé bouger plutôt que de rester assis à attendre et en évoquant mille raisons de ne rien pouvoir faire.
Mon guide, qui m’a ramené un thermo avec du thé et deux tasses de fer blanc, m’a demandé à qui j’écrivais. Je n’ai pas su lui répondre, les mots ne franchissaient pas mes lèvres. Sa question m’apparaît à présent fort pertinente. A qui donc est-ce que j’écris ? Puis-je donc prétendre te connaître, toi qui n’as jamais accepté que je puisse le faire, et qui, alors que je m’approche seulement par des mots de ce qui t’est le plus intime, me renvoies des exclamations véhémentes et des appréciations qui me répercutent l’image déplorable d’un stupide et immoral inquisiteur que je serais donc.
Parfois, je me demande si tu n’as pas lu dans mes lettres que ce qui te convenait. Peu importe. Ce qui est écrit est écrit. Tu pourras toujours les relire, plus tard. Tu verras que leur contenu est bien loin d’être anodin.
Mon guide s’appelle Célestin Sel. C’est un fort joli nom, je trouve, mais je ne lui ai pas dit. On dirait celui d’un ange. Il est un peu bougon, mais son regard brille d’une manière incomparable. Si le monde est une nuit, alors il est une étoile. Nous avons un peu bavardé, et je lui ai de nouveau demandé ce que nous faisions ici, et il m’a fourni des explications qui tenaient plus de la philosophie que de l’art militaire.
Puis la petite lampe bleue, signal de veille, s’est allumée brusquement, et il est allé rejoindre un autre trou, en me disant seulement de ne pas m’inquiéter, car cette nuit il ne se passerait rien de grave. Je me suis demandé si cela signifiait que d’autres craintes et d’autres peurs viendraient plus tard, justifiées celles-là. Mais je verrai bien, n’est-ce pas ?
Tout le temps que la garde dure, je veille avec mon canon à lumière sur les fourrés qui bordent le village que je suis censé protéger. Lorsque je crois voir une ombre se faufiler, j’oriente mon arme vers elle, et j’appuie sur la gâchette. Il y a une sorte de cliquetis sourd, une fugace odeur de brûlé, et l’ombre disparaît de mon champ de vision. Est-elle annihilée ou ne fait-elle que s’enfuir, je n’en ai pas la moindre idée. Il faudra que je pose la question.
Une fois la garde terminée, j’ai pu reprendre cette lettre. Mais les mots me manquent un peu ce soir. Malgré l’excellent thé que Célestin m’a offert, j’ai un goût de cendres dans la bouche que je ne parviens pas à faire disparaître. Sûrement l’atmosphère du lieu, ou la grande quantité de coups d’éclats que j’ai du lancer vers les fourrés. C’est vrai qu’il y a eu beaucoup d’ombres, cette nuit. L’une d’elles, d’ailleurs, m’a un peu effrayé. Le canon de lumière semblait sans effet sur elle, et mon doigt devint presque douloureux à force d’appuyer sur la gâchette. Mais elle s’éclipsa juste avant la fin du tour de garde.
J’espère que tu te portes bien, et que la lumière t’apporte ce dont tu as besoin.
J’ai peur de ne jamais te revoir. En fait, plus que de la peur, c’est de l’effroi.

20 février 2008

Lettre première

Mon Bel Amour,

Tu ne vas pas croire ce que je te confie dans cette lettre, mais il me faut t’en parler.
Cette nuit, je ne sais pas exactement ce qui s’est passé, mais alors que je dormais profondément, j’ai entendu tambouriner aux portes de mes perceptions. Et une voix criait : ‘On cherche des volontaires pour lutter contre les Ombres ! Y’a quelqu’un ici ?’
Il y a de cela quelques mois seulement, je me serais recouvert de mon oreiller en marmonnant quelque chose de pas très poli à l’adresse de cet importun, juste avant de me blottir à nouveau dans les limbes d’un sommeil confortable et innocent. Mais, depuis, je t’ai rencontrée. Et, sous ton influence, j’ai appris qu’il se trouve quelque chose sous la surface, et que tout n’est pas affaire seulement de réalité et d’hallucinations. Alors j’ai tendu l’oreille, et j’ai déverrouillé l’une des serrures de mes certitudes bien cloisonnées. La porte s’est ouverte, et une silhouette grisâtre s’est découpée dans l’embrasure.
Il ressemblait à un soldat de la guerre de sécession, dont le parti était indéfinissable, parce que son uniforme était gris, donc à priori sudiste, tandis qu’un calot écrasé sur ses tempes arborait les sabres croisés de la cavalerie nordiste. Sa tunique était pleine de poussière. Son visage était pâlot, et buriné comme celui d’un vieux loup de mer. Son regard pétillait comme un verre de champagne fraîchement servi. Il a du voir mon air interloqué, car il m’a lancé : ‘Ne vous fiez pas aux apparences, jamais. Prenez votre sac, là bas, et venez, on vous fournira le reste.’
Quel sac ? Je tournais les yeux dans la direction qu’il m’avait indiqué, et j’y vis un sac de toile écrue, à peu près de la taille d’un gros potiron. Ce n’est pas moi qui l’y avais mis, mais bon, puisqu’il était à moi et qu’on me le demandait, je le pris. En m’interrogeant sur le fait de m’être couché, la veille, tout habillé, contrairement à mon habitude. Mais décidément, rien ne devait être normal cette nuit.
Je suivis mon guide inopiné le long d’un sentier couvert d’une brume épaisse et ténébreuse. L’obscurité était profonde, mais on pouvait ressentir que l’aube n’allait sûrement pas tarder à se lever. Alors que j’allais lui poser la question, il sembla lire dans mes pensées et me jeta : ‘Ce ne sera pas long, ne vous inquiétez pas. Avec nous, plus rien n’a de véritable gravité.’
Nous ? Qui ‘Nous’ ? Et s’il était vrai que je ne ressentais pas plus le poids de mes appréhensions que celui de mon corps, je ne pouvais m’empêcher de m’interroger sur cet itinéraire étrange sur lequel venait de me placer mon interlocuteur qui s’exprimait si peu qu’il en semblait muet.
Une lueur blafarde, venue de nulle part et de partout à la fois, permettait de deviner les esquisses de notre environnement ténu. Nous arrivâmes dans un endroit qui semblait l’extrémité d’une ruelle d’un petit village dont quelques teintes se dessinaient dans une brume qui s’effilochait. On y avait creusé un trou d’une forme à peu près hexagonale, et mon guide m’y précéda avant de m’inviter à y prendre place. Cette petite fosse était assez grande pour contenir une demi douzaine de personnes, et en m’y tenant debout, le sommet des parois que l’on avait consolidées avec quelques poutres de bois noirâtres m’arrivaient aux épaules.
Il me fit signe de m’asseoir sur un banc, à côté de lui. Il attrapa une caisse et l’ouvrit. Il en sortit un tube semblable à un lance roquette, et m’expliqua qu’il s’agissait d’une sorte de torche géante qui projetait un rayon, du diamètre d’une assiette et de la longueur d’un terrain de football, d’une lumière particulièrement puissante, par flash d’un dixième de seconde. Il me montra la lentille, les poignées de maintien et la gâchette. Il m’avertit de ne jamais regarder cette lentille lorsque le faisceau jaillissait, car hormis le fait que je ne pourrais de toutes façons rien voir, je me retrouverais aveugle pour le restant de mes jours.
Puis il se lança dans quelques explications. Je ne vais pas les reporter ici, car n’étant même pas certain moi-même de les avoir bien comprises, je risquerais à la fois de t’ennuyer et de te délivrer des indications erronées. Et puis ça n’a pas beaucoup d’importance aujourd’hui, je pense. Il est parti vite, parce qu’on l’appelait, et il me laissa seul dans cette cavité bizarre.
Ce qui est important, c’est que je peux écrire, car dans un réduit creusé dans le calcaire, j’ai trouvé à côté d’une paillasse un petit meuble rempli de papier, de crayons et d’enveloppes timbrées. Un trésor, donc. Alors que le jour se levait lentement, et en l'absence de mon hôte, je suis allé explorer les abords du village alentour, si parfaitement désert à cette heure que je crains presque qu'il soit totalement inhabité. Et j'y ai trouvé une boîte aux lettres dont les charnières luisantes laissent croire qu'elle est toujours en service, alors je me suis dit que je pourrai te faire parvenir quelques mots, histoire de passer le temps.
Une plaque m’a informé du nom de ce petit village. Il se nomme ‘Ames’.
Ca ne s’invente pas.
Je t’embrasse.

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